Culture/ MUSIQUE

Jean-Louis AubertLa vie en rock !

Par Olivier Kalousdian avec Emmanuel Monvidran

 

Ses chansons ? Des hymnes ! Depuis 45 ans, l’ex-leader de Téléphone grave la bande originale de nos vies. Portrait.

Au début était le téléphone. Puis vint le Minitel, le GSM et Internet. Ni nostalgique, ni technophobe, Jean-Louis Aubert a su conter ses époques en allant toujours de l’avant.

Janvier 2022, alors qu’il sillonnait l’Hexagone (Rennes, Dijon, Bordeaux, Nice…), le Covid interrompt les festivités, gommant la fin de la tournée prévue à l’Accor Arena de Paris. « Quelle tristesse ! Pour me venger je réfléchis à des surprises à vous offrir », indiquait le compte Facebook de cet artiste connu et reconnu, entré de son vivant dans notre panthéon musical national. Cela faisait deux ans déjà qu’il parcourait les routes avec son spectacle intitulé « Olo » : un show à la technologie inédite. L’ex chanteur de Téléphone apparaissait sur scène entouré d’hologrammes qu’il pilotait en direct tout au long du concert. En digne bâtisseur de l’histoire du rock, cet homme-orchestre ne se contente plus d’écrire et de composer des chansons. Il s’engage au-delà de sa zone de confort. A 67 ans, après 9 albums en solo et 5 avec Téléphone, ce chouchou des Français reste un infatigable faiseur de succès.

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Quatuor téléphonique

Sous-préfet atypique en poste à Nantua, Senlis…, le père de Jean-Louis est un artiste refoulé. Humaniste, poète et musicien, il accroche sa guitare dans la chambre de son fils. Quand ses parents déménagent à Paris, le futur interprète de Crache ton venin se cabre et collectionne les punitions. Elève au lycée Pasteur de Neuilly, il subit les foudres d’« Attila », un pion à la moustache sévère qui n’est autre que Gérard Jugnot ! Cherchant sa voie, Jean-Louis Aubert met le cap à 17 ans vers les États-Unis, une guitare sous le bras. Celle de papa. Plusieurs mois durant, il fera la manche pour survivre en chantant des tubes des Rolling Stones. 1976, retour à Paris. Et c’est le début de l’aventure musicale avec Richard Kolinka, Louis Bertignac (rencontré au lycée Pasteur), et Corine Marienneau.

Quatre jeunes gens de bonne famille qui se feront vite connaître avec les premiers titres d’un groupe qu’ils nommeront « Téléphone ». Le jour de l’élection de Jimmy Carter, Louis Bertignac téléphone à France 3 pour leur annoncer que l’ambassade des USA a organisé un concert au Centre Américain. Admirable coup de bluff et de communication, la salle est comble ! Ossature du visage prononcée, menton carré, grandes lèvres fines et rieuses, Jean-Louis Aubert a toujours eu une gueule de rocker. Comme son homologue anglais Mick Jagger, qu’il vénère. Ces deux leaders suivront des voies parallèles qui ne les empêchent pas de se croiser, en 1976, dans le même studio d’enregistrement, en 1982, à l’hippodrome d’Auteuil.

Des titres aux textes résolument modernes

Téléphone qui assure la première partie des Stones fait un carton : 40 000 spectateurs reprenant en chœur le titre, Ça (c’est vraiment toi !). Entre 1976 et 1986, le quatuor rock va écrire une des plus grandes pages de l’histoire musicale française et offrir à la postérité des chansons éternelles : La bombe humaine, Ça (c’est vraiment toi !), Argent trop cher, New York avec toi Des titres aux textes résolument modernes. Téléphone est à la France ce que les Clash sont à l’Angleterre : une référence musicale et identitaire de l’état d’esprit de la jeunesse de l’époque qui déconstruit les codes établis.

Dix ans après mai 68, Téléphone impose une femme en front line d’une formation de rock, au même niveau que les garçons. Dans la France de Valéry Giscard d’Estaing, le groupe sort du lot. Dix ans de succès, de tournées, de relations intimes et tumultueuses entre Corine, Jean-Louis et Louis. Le tout saupoudré d’un abus de drogues dures. Les Téléphone sont usés par le sexe, l’égo et le fric. Jean-Louis Aubert, qui écrit toutes les chansons, s’éloigne du rock pur et dur des premières années. La ligne est en dérangement.

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Un autre monde

Quand son fils Arthur naît en 1985, papa Aubert se met à rêver d’un autre monde. Il rédige le titre, Le jour s’est levé, se découvrant l’âme d’un songwriter. Plus populaire diront certains, plus « Dylanien » selon les fans. Le plus grand succès commercial du groupe à ce jour, mais un coup de Téléphone bien trop « commercial » pour Louis Bertignac qui refuse de s’engager sur la même voie que son ami. Téléphone implose, discrètement, communiquant habilement sur une volonté commune d’arrêter en pleine gloire. Après les étoiles plurielles du groupe Téléphone, Jean-Louis Aubert entame en 1986 une carrière solo aux contours incertains.

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Ami de toujours, Richard Kolinka, batteur de Téléphone et fils de l’historienne et passeuse de mémoire, Ginette Kolinka, accompagne Jean-Louis dans sa nouvelle entreprise. Le nom du duo ? Aubert’n’Ko. Un an après la séparation de Téléphone, sort leur premier album : Plâtre et Ciment. Ce disque comprend le succès : Juste une illusion, qui reprend l’ADN musical des plus grandes chansons de Téléphone.

Il fait un constat lucide sur l’impact néfaste de l’homme sur la planète

Mais c’est avec l’album Bleu Blanc Vert, sorti en 1989, que Jean-Louis Aubert lance véritablement sa carrière solo. En avance sur son temps, il teinte cet album aux couleurs de l’écologie, remplaçant dans son nom le rouge du drapeau français par le vert de l’environnement. Sans être militant, il fait un constat lucide sur l’impact néfaste de l’homme sur la planète et délivre son message de tendresse pour la nature dans plusieurs chansons comme Locataire, Univers ou encore Ils cassent le monde, mise en musique d’un poème de Boris Vian.

Parfois accompagné d’artistes amis (Paul Personne, Princess Erika), notre homme développe les collaborations et duos, engrangeant succès : Voilà, c’est fini, Il est temps à nouveau, et disques d’or : Plâtre et ciment, Bleu blanc vert, H. Tout le monde connaît Sur la route, balade signée en tandem par Aubert et Raphaël, qui en 2003 et 2004, fait les belles heures des radios/TV. Son autre duo avec Patrick Bruel ? Jean-Louis aura mis 15 ans pour accepter l’invitation de l’acteur ! N’oublions pas Axel Bauer, super copain de Jean-Louis qui découvrit parmi les premiers la maquette du tube Cargo de nuit. Autre interprétation à deux têtes avec Axel : Vivant poème, écrit d’abord pour la chanteuse Barbara, repris sur son album Stockholm en 1997.

Intemporel

Ce qui prime avant tout pour notre rock star hexagonale ? La mélodie ! Ces harmonies sur lesquelles le chant vient se poser, qu’elles se déclinent sous forme de balades poignantes, ou de manifestes temporels à l’humeur contagieuse. En 2012, Aubert fait savoir que son cœur bat doublement à gauche, pendant la campagne de François Hollande, autre ancien élève du lycée Pasteur de Neuilly. Une proximité de nouveau renforcée lors des attentats de Paris en novembre 2015. Alors que Les Insus viennent de mettre en vente les premiers tickets de leur tournée inaugurale. Difficile d’imaginer aujourd’hui ce qu’a pu être le phénomène Téléphone en France! Boums, soirées du Club Med, festivals de musique, émissions TV du premier septennat de François Mitterrand. Les titres de ce groupe sont omniprésents.

Trente ans après, cet engouement reste palpable sur les scènes où se produisent Les Insus (pour Insu-portables), re-formation 2.0 de Téléphone officialisée en 2015, sans Corine Marienneau. La force de Téléphone, c’est d’avoir su raccrocher à temps. « On s’entendait moins bien et on ne voulait pas gâcher le truc » déclara Louis Bertignac après coup. Sortir par le haut d’une aventure collective aussi puissante que celle de Téléphone n’était pas chose aisée. Quatre millions d’albums vendus, 800 concerts en solo… Aucun doute sur la sémillance de ce sexagénaire, recordman de longévité parmi les artistes français. Deuxième plus gros vendeur de disques de l’histoire du pays, derrière Indochine. Celui qui, aujourd’hui comme hier, a su faire rayonner ses mélodies dans tout l’univers, reste solide comme un roc(k).■

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